Main tenant un thermomètre affichant 38,5 °C et une boîte d’anti-inflammatoires.

Faut-il arrêter les anti-inflammatoires en cas d’infection ?

Introduction

Pour les personnes atteintes de maladies inflammatoires chroniques comme la polyarthrite rhumatoïde, le psoriasis articulaire ou la spondyloarthrite, les traitements immunomodulateurs ou anti-inflammatoires sont essentiels pour contrôler l’activité de la maladie. Ces médicaments – qu’il s’agisse de corticoïdes, d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), ou de traitements de fond comme les DMARDs classiques ou biologiques ( DMARDs est l’acronyme de Disease-Modifying Anti-Rheumatic Drugs, que l’on traduit en français par : Médicaments antirhumatismaux modificateurs de la maladie ou Traitements immunomodulateurs) – permettent de prévenir les poussées, de limiter la douleur, et d’éviter la dégradation des articulations.

Mais que faire lorsqu’une infection survient ? Faut-il interrompre ces traitements temporairement, au risque de voir la maladie s’aggraver, ou les poursuivre, en s’exposant potentiellement à un risque infectieux accru ? Cette question est au cœur des préoccupations des patients comme des soignants, d’autant plus qu’elle ne trouve pas toujours de réponse claire dans les recommandations officielles.

Longtemps, le réflexe a été l’arrêt immédiat et systématique. Pourtant, plusieurs études récentes, dont un essai contrôlé néerlandais d’envergure, remettent en question cette approche et offrent un éclairage nouveau.

Dans cet article, nous faisons le point sur les dernières données scientifiques et les pratiques actuelles afin d’aider patients et professionnels à mieux décider, au cas par cas, de la conduite à tenir en cas d’infection.

Points clés à retenir

  • De nombreux patients sous traitements immunomodulateurs s’interrogent sur la conduite à tenir en cas d’infection.

  • Les recommandations officielles restent floues ou absentes sur ce sujet.

  • Le réflexe médical classique consistait souvent à interrompre les traitements dès l’apparition d’une infection.

  • Une étude néerlandaise récente, bien conduite, montre que continuer les traitements immunomodulateurs lors d’infections bénignes n’augmente pas le risque de complications graves.

  • L’arrêt systématique des traitements pourrait entraîner une reprise d’activité inflammatoire ou une poussée.

  • La décision doit prendre en compte plusieurs facteurs : gravité de l’infection, type de traitement, état général du patient, comorbidités.

  • Un dialogue entre le patient et son médecin reste essentiel pour adapter la conduite à tenir.

Patient âgé préoccupé discutant avec une médecin en blouse blanche lors d’une consultation.
Le dilemme : faut-il arrêter un traitement efficace face à une infection ?

1. Ce que disent les recommandations (ou leur absence)

Lorsqu’un patient sous traitement immunomodulateur présente une infection, la première question qui se pose est celle des recommandations officielles. Pourtant, à ce jour, aucun consensus clair n’existe sur la conduite à tenir. Les sociétés savantes, y compris en rhumatologie, abordent rarement ce point de manière explicite dans leurs guidelines, laissant une large place à l’interprétation individuelle.

Des mentions floues sur les notices

Les fiches techniques et notices des médicaments immunomodulateurs, notamment les DMARDs biologiques ou les inhibiteurs de TNF, mentionnent souvent la nécessité d’être « vigilant » ou de « consulter en cas d’infection », et parfois suggèrent un arrêt temporaire en cas d’infection aiguë fébrile. Mais ces recommandations restent vagues, sans indication précise sur la durée, le type d’infection concerné, ou la balance bénéfice/risque.

Une pratique médicale très variable

Dans la pratique, les attitudes varient fortement d’un médecin à l’autre, et d’un pays à l’autre. Comme l’indiquait récemment Nathan den Broeder, co-auteur d’une grande étude néerlandaise sur ce sujet, certains centres refusent même de participer à des recherches sur la poursuite du traitement pendant une infection, jugeant cela trop risqué. En Europe, l’approche reste globalement prudente, avec une tendance au « stop par précaution ».

Pourtant, cette prudence généralisée n’est pas toujours justifiée scientifiquement, surtout en l’absence de données solides sur les risques réels encourus en cas de poursuite du traitement.

L’absence de cadre officiel pousse à une gestion au cas par cas

Face à ce flou, la décision revient souvent au binôme médecin-patient, sur la base de l’expérience, de la nature de l’infection (simple rhume ou infection bactérienne avérée), et de l’historique médical du patient. Ce manque de cadre officiel explique aussi pourquoi certaines décisions peuvent sembler contradictoires d’un praticien à l’autre.

2. Ce que craignent les patients et les médecins

Face à une infection, la décision d’interrompre ou non un traitement immunomodulateur est rarement simple. Elle est traversée par de nombreuses craintes, aussi bien du côté des patients que des soignants. Une étude qualitative néerlandaise publiée dans Rheuma+ a précisément exploré ces représentations, à travers des entretiens avec des patients atteints de maladies inflammatoires immuno-médiées (IMID) et leurs soignants.

Du côté des patients : entre peur de l’infection et peur de la rechute

Les patients craignent d’abord d’aggraver une infection s’ils continuent leur traitement. Beaucoup associent les immunomodulateurs à une immunosuppression, et donc à un risque accru de complications infectieuses. Cette peur est souvent renforcée par les informations contenues dans les notices ou par les mises en garde de leur entourage.

Mais à l’inverse, certains expriment aussi une forte réticence à interrompre un traitement efficace, par peur de voir leur maladie inflammatoire se réactiver. Plusieurs patients interrogés dans l’étude évoquent de mauvaises expériences antérieures avec des arrêts de traitement ayant conduit à des poussées douloureuses et invalidantes.

Du côté des médecins : un équilibre délicat

Les professionnels de santé sont souvent partagés entre deux obligations : protéger le patient d’un risque infectieux théorique, et éviter une perte de contrôle d’une maladie chronique active. Cette tension se traduit par des décisions hétérogènes, parfois basées sur l’intuition, l’expérience personnelle ou la gravité apparente de l’infection.

Certains médecins reconnaissent avoir tendance à « suspendre par précaution », même en l’absence de preuve scientifique forte, par peur d’un éventuel enchaînement : une infection bénigne qui dégénère, puis une hospitalisation. D’autres, au contraire, privilégient la stabilité de la maladie sous traitement, notamment si l’infection est mineure et bien tolérée.

Une décision influencée par de nombreux facteurs

L’étude qualitative a permis de dégager dix grands thèmes qui influencent la décision d’arrêter ou non un traitement en cas d’infection. Parmi eux :

  • Le type et la gravité de l’infection,

  • Le niveau d’activité de la maladie inflammatoire,

  • Les caractéristiques du médicament utilisé (mode d’action, demi-vie, voie d’administration),

  • L’état de santé général du patient,

  • La relation de confiance entre patient et soignant.

Ce faisceau de facteurs montre bien qu’il n’existe pas de réponse unique, mais plutôt une mosaïque de situations cliniques qui nécessitent une évaluation au cas par cas.

3. L’étude néerlandaise randomisée : continuer ou interrompre ?

Pour apporter une réponse fondée aux incertitudes entourant la gestion des traitements immunomodulateurs en cas d’infection, une équipe néerlandaise a mené une étude rigoureuse et inédite : un essai clinique randomisé multicentrique, incluant plus de 1100 patients atteints de maladies rhumatologiques inflammatoires chroniques. Présentée lors des congrès de l’ACR et de l’EULAR 2024, cette étude constitue l’une des données les plus solides à ce jour sur cette question.

Une méthodologie robuste et pragmatique

L’étude a porté sur 1142 patients atteints de :

  • Polyarthrite rhumatoïde (61 %),

  • Psoriasis articulaire (29 %),

  • Spondyloarthrite (10 %).

Tous étaient traités par des médicaments immunomodulateurs : soit en monothérapie (biologiques, synthétiques ciblés ou classiques), soit en association. Lors de leur première infection jugée cliniquement significative, ils ont été randomisés en deux groupes :

  • Poursuite du traitement,

  • Interruption temporaire du traitement.

La répartition tenait compte de plusieurs facteurs comme l’usage de corticostéroïdes, d’inhibiteurs du TNF ou le risque élevé de forme sévère de COVID-19.

Des résultats rassurants

Parmi les 474 patients qui ont effectivement développé une infection :

  • 241 ont poursuivi leur traitement,

  • 233 l’ont interrompu.

Sur l’ensemble de ces cas, seulement 21 patients ont développé une infection grave (définie comme nécessitant une hospitalisation ou une antibiothérapie intraveineuse), soit :

  • 5,15 % dans le groupe « interruption »,

  • 3,73 % dans le groupe « poursuite ».

La différence de risque ajustée entre les deux groupes est de 1,7 % (intervalle de confiance de 95 % : 2 à 5,4), soit une différence faible et non significative sur le plan clinique.

💬 « Cela n’a fait absolument aucune différence de continuer ou non le traitement pendant une infection. »

— Dr Jack Cush, RWCS 2025

Des implications concrètes pour la pratique

Ces résultats remettent en cause l’approche « arrêt systématique » adoptée par précaution dans de nombreuses situations. Comme le souligne le Dr Arthur Kavanaugh, l’étude est importante car les données étaient jusqu’ici très rares dans ce domaine, malgré l’inquiétude constante des cliniciens face à une infection pouvant potentiellement dégénérer.

L’étude soutient ainsi une approche plus nuancée, encourageant le maintien des traitements lors d’infections bénignes, tout en réservant la suspension aux cas sévères (hospitalisation, infection profonde, comorbidité grave).

4. Analyse des données et limites

L’étude néerlandaise marque un tournant dans la réflexion autour de la gestion des traitements immunomodulateurs en cas d’infection. Toutefois, il est essentiel d’en comprendre les nuances, les limites méthodologiques, et la portée réelle pour la pratique clinique.

Des infections « banales » majoritairement représentées

L’un des éléments à noter est la nature des infections observées : il s’agissait, pour la majorité, d’infections bénignes (infections ORL, urinaires, bronchites simples). Ces situations sont fréquentes en pratique, mais les résultats ne s’appliquent pas nécessairement aux infections plus graves : pneumonies sévères, infections bactériennes invasives, ou encore septicémies.

En revanche, l’étude offre des données précieuses pour toutes les petites infections du quotidien, qui sont justement les plus fréquentes et pour lesquelles les médecins hésitent souvent à arrêter les traitements.

Un faible taux d’infections graves

Sur les 474 patients inclus dans l’analyse, seuls 21 ont développé une infection grave, soit environ 4,4 %. Ce chiffre, bien qu’encourageant, signifie que l’étude n’est pas conçue pour détecter des différences fines dans les cas rares mais graves. Autrement dit, l’absence de différence significative ne prouve pas l’absence totale de risque, notamment dans certaines sous-populations vulnérables.

Des sous-groupes rassurants, mais à interpréter avec prudence

Les chercheurs ont exploré plusieurs sous-groupes :

  • Patients sous corticostéroïdes,

  • Antécédents d’infection grave,

  • Traitement biologique vs classique.

Dans tous les cas, les différences entre « interruption » et « poursuite » restaient faibles. Cela suggère une robustesse globale des résultats, mais ces analyses secondaires restent exploratoires et doivent être confirmées par d’autres études.

Quid de la durée de l’interruption ?

Autre limite : la durée exacte d’interruption des traitements n’est pas uniformisée ni précisée dans les résultats. Or, dans la vraie vie, certains traitements (notamment les biothérapies injectables) ont une longue demi-vie, et leur effet perdure même après l’arrêt. Cela pourrait atténuer l’impact réel d’un arrêt temporaire de quelques jours.


En résumé, les données actuelles soutiennent une approche prudente mais moins systématique de l’interruption, notamment en cas d’infection bénigne. Elles ne doivent pas être extrapolées à toutes les situations, en particulier les plus graves, et appellent à une individualisation des décisions, ce que nous verrons dans la prochaine section.

Médecin tenant une boîte d’anti-inflammatoires face à une patiente fiévreuse, emmitouflée dans une couverture.
En cas d’infection bénigne, l’arrêt des anti-inflammatoires n’est pas toujours nécessaire.

5. Vers une individualisation des décisions

Les données issues des récentes études, et notamment de l’essai néerlandais, vont toutes dans le même sens : la décision d’interrompre ou non un traitement immunomodulateur en cas d’infection doit être personnalisée. Il n’est plus pertinent de recommander un arrêt systématique pour tous les patients, quels que soient leur traitement, leur infection ou leur état de santé.

L’importance du dialogue médecin-patient

L’approche individualisée repose avant tout sur un échange éclairé entre le patient et son médecin. Ce dialogue doit intégrer :

  • Les symptômes de l’infection (gravité, fièvre, signes d’atteinte pulmonaire, etc.),

  • Le traitement en cours (type de molécule, demi-vie, immunosuppression associée),

  • L’état général du patient (âge, comorbidités, antécédents infectieux),

  • Et bien sûr, l’activité de la maladie inflammatoire : un patient en rémission stable pourra sans doute interrompre temporairement un traitement sans risque majeur, ce qui est moins évident en cas de maladie active.

Des scénarios types pour aider à la décision

Ces cas illustrent bien que la gravité et le contexte clinique doivent guider la décision, bien plus que le principe d’une interruption automatique.

Voici quelques exemples concrets de situations fréquentes :

Situation clinique Recommandation générale
Rhume sans fièvre ✅ Poursuite
Infection urinaire simple ✅ Poursuite si bien tolérée
Fièvre > 38,5 °C ⚠️ Discussion avec le médecin
Infection pulmonaire traitée par antibiotiques ❌ Interruption temporaire recommandée
Hospitalisation ❌ Interruption systématique

La tendance actuelle : prudence mais souplesse

Les experts en rhumatologie s’accordent de plus en plus à dire que la poursuite du traitement peut être sécurisée dans de nombreuses infections bénignes, à condition d’une bonne surveillance et d’une bonne communication avec le patient. L’enjeu est aussi d’éviter les conséquences négatives d’un arrêt injustifié : rechute, poussée inflammatoire, perte d’efficacité du traitement.

Conclusion

La question « Faut-il arrêter les anti-inflammatoires ou immunomodulateurs en cas d’infection ? » ne peut plus recevoir une réponse unique et automatique. Les données issues de la recherche, notamment l’étude randomisée néerlandaise, viennent bousculer les réflexes de prudence excessive en montrant que la poursuite des traitements n’augmente pas significativement le risque de complications graves lors d’infections bénignes.

En parallèle, les études qualitatives révèlent combien cette décision est vécue comme un dilemme, aussi bien par les patients que par les médecins, partagés entre la peur d’aggraver l’infection et celle de relancer la maladie inflammatoire.

Aujourd’hui, la meilleure réponse est probablement la décision partagée, éclairée par les données scientifiques et adaptée à chaque situation clinique. Cela suppose de prendre en compte :

  • La nature de l’infection,

  • L’état du patient,

  • Le type de traitement en cours,

  • Et l’activité de la maladie sous-jacente.

Arrêter un traitement efficace ne doit plus être un réflexe. À l’inverse, poursuivre un traitement dans un contexte d’infection grave sans évaluation rigoureuse pourrait être risqué. Entre ces deux extrêmes, une large zone de nuance permet désormais d’agir de façon raisonnée, sécurisée… et individualisée.

📚 Bibliographie

  1. Boers, M. et al. (2023). Exploring the perspective of patients with immune-mediated inflammatory diseases on the continuation of immunomodulatory treatment during infections: a qualitative interview study.

    Rheuma+, Volume 7, Issue 1, January 2023

    👉 Lire l’article complet

  2. Den Broeder, N. et al. (2024). Continuation versus temporary interruption of immunomodulatory agents in case of an infection in IRD patients: Results of a randomized controlled trial.

    American College of Rheumatology (ACR) Abstracts 2024

    👉 Consulter le résumé

  3. Den Broeder, N. et al. (2024). Poster presentation: Continuation of immunomodulators during infection.

    European Alliance of Associations for Rheumatology (EULAR) Congress 2024 – Annals of the Rheumatic Diseases, Volume 83, Suppl 1, 2024

    👉 Accéder à l’abstract sur BMJ

  4. Kilgore, C. (2025). Should You Interrupt Arthritis DMARDs During an Infection?

    RheumNow.com, publié le 1er avril 2025, retour sur le RWCS 2025

    👉 Lire l’article

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