La prise de poids est souvent citée comme un effet secondaire redouté des antidépresseurs. Cette préoccupation peut même conduire certains patients à hésiter avant de commencer un traitement ou à l’interrompre prématurément. Mais qu’en est-il réellement ? Tous les antidépresseurs font-ils grossir de la même façon ? Une étude américaine récente apporte des réponses nuancées à cette question légitime.
Publiée dans la prestigieuse revue Annals of Internal Medicine, l’étude menée par Joshua Petimar et son équipe a comparé l’effet de huit antidépresseurs couramment prescrits sur la prise de poids. Les résultats révèlent des différences significatives entre ces médicaments, même si elles restent généralement modestes. Découvrons ensemble ce que cette recherche nous apprend sur la relation entre antidépresseurs et poids corporel.
Points clés
- Tous les antidépresseurs n’ont pas le même impact sur le poids
- Le bupropion (Zyban®) est associé à une moindre prise de poids par rapport aux autres antidépresseurs
- L’escitalopram (Seroplex®), la paroxétine (Deroxat®) et la duloxétine (Cymbalta®) sont associés à un risque plus élevé de prise de poids
- Les différences de prise de poids entre les antidépresseurs sont généralement faibles (moins d’un kilogramme)
- Le choix d’un antidépresseur doit prendre en compte plusieurs facteurs, pas uniquement l’effet sur le poids
Épidémiologie des antidépresseurs en France
En France, la consommation d’antidépresseurs concerne une part importante de la population :
- Environ 4,4 millions de Français prennent des antidépresseurs ou régulateurs de l’humeur
- La consommation varie selon les régions, avec un taux plus bas en Île-de-France (environ 43 pour mille habitants) et plus élevé dans certaines régions rurales
- Entre 2014 et 2021, la consommation d’antidépresseurs chez les mineurs a augmenté de plus de 62%
- En 2023, près de 936 000 jeunes ont été remboursés au moins une fois pour un médicament psychotrope
- Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à consommer des antidépresseurs, avec un ratio d’environ 2 pour 1
Ces chiffres soulignent l’importance d’une information claire sur les effets secondaires potentiels de ces médicaments, notamment sur le poids.

Contexte : Antidépresseurs et prise de poids
Les antidépresseurs figurent parmi les médicaments les plus prescrits dans le monde. En France comme ailleurs, leur utilisation a considérablement augmenté ces dernières décennies. Ces traitements sont principalement indiqués dans la dépression et les troubles anxieux, mais peuvent également être prescrits pour d’autres conditions comme la douleur neuropathique.
Indications thérapeutiques des antidépresseurs
Au-delà de la dépression, les antidépresseurs sont prescrits pour diverses conditions :
Indication | Antidépresseurs avec AMM en France |
---|---|
Trouble obsessionnel compulsif (TOC) | Escitalopram (Seroplex®), Sertraline (Zoloft®), Paroxétine (Deroxat®), Fluoxétine (Prozac®), Clomipramine (Anafranil®) |
Trouble anxiété sociale (phobie sociale) | Escitalopram (Seroplex®), Paroxétine (Deroxat®), Sertraline (Zoloft®), Venlafaxine (Effexor®) |
Trouble anxiété généralisée | Escitalopram (Seroplex®), Venlafaxine (Effexor®), Duloxétine (Cymbalta®) |
Trouble panique avec ou sans agoraphobie | Escitalopram (Seroplex®), Paroxétine (Deroxat®), Sertraline (Zoloft®), Venlafaxine (Effexor®) |
Douleur neuropathique | Duloxétine (Cymbalta®), Amitriptyline (Laroxyl®) |
Il est important de noter que dans ces indications, les antidépresseurs ne sont pas utilisés pour leur effet antidépresseur à proprement parler, mais pour leur action spécifique sur les symptômes de ces troubles.
La prise de poids est fréquemment rapportée comme effet secondaire des antidépresseurs, ce qui peut avoir des conséquences importantes. D’une part, ce changement corporel peut affecter l’image de soi et la qualité de vie des patients. D’autre part, une prise de poids significative peut entraîner des problèmes de santé à long terme, comme l’hypertension artérielle, le diabète de type 2 ou les maladies cardiovasculaires.
Cette préoccupation concernant le poids peut également compromettre l’adhésion au traitement. Certains patients, inquiets de prendre du poids, peuvent être tentés de réduire leur dosage ou d’arrêter complètement leur traitement sans avis médical, ce qui augmente le risque de rechute dépressive.
Dans ce contexte, disposer d’informations fiables sur l’impact pondéral des différents antidépresseurs est essentiel pour guider le choix thérapeutique et améliorer la prise en charge des patients.
Le mythe de la prise de poids systématique
Contrairement à une idée reçue, tous les antidépresseurs ne font pas grossir, et certains peuvent même être associés à une perte de poids chez certains patients. L’effet sur le poids varie selon la molécule, la dose, la durée du traitement et les caractéristiques individuelles du patient.

L’étude de Petimar et al. : une approche innovante
L’étude publiée par Joshua Petimar et ses collègues dans Annals of Internal Medicine en 2024 apporte un éclairage précieux sur cette question. Les chercheurs ont utilisé une méthodologie originale appelée “essai randomisé émulé”. Cette approche consiste à définir d’abord un essai “cible” (l’essai randomisé idéal pour répondre à la question posée), puis à l’émuler à partir de données observationnelles.
Cette méthode présente l’avantage de pouvoir étudier un très grand nombre de patients sur une longue période, ce qui serait difficile à réaliser dans le cadre d’un essai randomisé classique. Elle permet également d’éviter certains biais inhérents aux études observationnelles traditionnelles.
Pour cette recherche, les données provenaient des dossiers médicaux électroniques de patients issus de huit systèmes de santé américains. Au total, 183 118 adultes âgés de 20 à 80 ans, sans antécédents d’utilisation d’antidépresseurs, ont été inclus dans l’analyse. Parmi eux, 36% avaient reçu un diagnostic de dépression, 39% d’anxiété et 16% de douleur neuropathique.
L’étude a comparé huit antidépresseurs couramment prescrits :
- La sertraline (Zoloft®) – utilisée comme référence car c’est l’antidépresseur le plus prescrit
- Le citalopram (Seropram®)
- L’escitalopram (Seroplex®)
- La fluoxétine (Prozac®)
- La paroxétine (Deroxat®)
- Le bupropion (Zyban®) – prescrit hors AMM dans la dépression en France, principalement utilisé pour le sevrage tabagique
- La duloxétine (Cymbalta®)
- La venlafaxine (Effexor®)
Le critère principal d’évaluation était la différence de prise de poids entre chaque antidépresseur et la sertraline après 6 mois de traitement. Les chercheurs ont également examiné la prise de poids à 12 et 24 mois, ainsi que la probabilité d’un gain de poids cliniquement significatif (défini comme une augmentation d’au moins 5% du poids initial).
Résultats principaux : comparaison des antidépresseurs
Les résultats de cette vaste étude révèlent des différences modestes mais significatives entre les antidépresseurs en termes de prise de poids.
Par rapport à la sertraline (Zoloft®, utilisée comme référence), la fluoxétine (Prozac®) a montré un effet similaire sur le poids après 6 mois de traitement. En revanche, cinq antidépresseurs ont été associés à une prise de poids légèrement supérieure :
- L’escitalopram (Seroplex®) : +0,41 kg en moyenne
- La paroxétine (Deroxat®) : +0,37 kg
- La duloxétine (Cymbalta®) : +0,34 kg
- La venlafaxine (Effexor®) : +0,17 kg
- Le citalopram (Seropram®) : +0,12 kg
À l’inverse, le bupropion (Zyban®) s’est distingué par une prise de poids moindre que la sertraline, avec une différence moyenne de -0,22 kg après 6 mois.
Concernant le risque de prise de poids cliniquement significative (≥ 5% du poids initial), l’escitalopram (Seroplex®), la paroxétine (Deroxat®) et la duloxétine (Cymbalta®) étaient associés à un risque 10% à 15% plus élevé que la sertraline. Le bupropion (Zyban®), quant à lui, présentait un risque 15% plus faible.
Il est important de noter que les effets à plus long terme (12 et 24 mois) étaient plus difficiles à évaluer en raison de la faible adhésion au traitement sur ces périodes. Cette observation reflète la réalité clinique : de nombreux patients ne poursuivent pas leur traitement antidépresseur au-delà de quelques mois, que ce soit en raison d’une amélioration de leur état, d’effets secondaires, ou d’autres facteurs.

Mécanismes potentiels de la prise de poids
Comment expliquer ces différences d’effet sur le poids entre les antidépresseurs ? Plusieurs mécanismes peuvent être impliqués.
Certains antidépresseurs peuvent stimuler l’appétit, notamment en agissant sur les récepteurs de la sérotonine et de l’histamine. La sérotonine joue un rôle important dans la régulation de la satiété, et son augmentation peut paradoxalement entraîner une augmentation de l’appétit chez certains patients. Les antidépresseurs ayant une forte affinité pour les récepteurs histaminiques H1, comme la paroxétine (Deroxat®), sont particulièrement susceptibles d’augmenter l’appétit et de favoriser la prise de poids.
Les antidépresseurs peuvent également affecter le métabolisme. Certains peuvent ralentir le métabolisme basal, ce qui signifie que l’organisme brûle moins de calories au repos. D’autres peuvent modifier la façon dont le corps stocke et utilise les graisses.
Le bupropion (Zyban®), qui s’est distingué dans l’étude par son association à une moindre prise de poids, agit différemment des autres antidépresseurs. Il cible principalement les neurotransmetteurs dopamine et noradrénaline, plutôt que la sérotonine. Cette action spécifique pourrait expliquer son effet neutre, voire légèrement favorable, sur le poids.
Il est également important de considérer que la dépression elle-même peut influencer le poids. Certains patients perdent du poids pendant un épisode dépressif en raison d’une perte d’appétit. Lorsque la dépression s’améliore grâce au traitement, l’appétit peut revenir à la normale, entraînant une reprise de poids qui n’est pas directement causée par le médicament, mais plutôt par l’amélioration de l’état de santé.
Implications cliniques
Les résultats de l’étude de Petimar et al. ont des implications importantes pour la pratique clinique.
Tout d’abord, ils confirment que les différences de prise de poids entre les antidépresseurs, bien que statistiquement significatives, restent généralement modestes (moins d’un kilogramme). Cette information peut être rassurante pour de nombreux patients qui craignent une prise de poids importante.
Néanmoins, ces différences peuvent être cliniquement pertinentes pour certains patients, notamment ceux qui présentent déjà un surpoids ou une obésité, ou ceux qui ont des antécédents de troubles du comportement alimentaire. Pour ces personnes, le choix d’un antidépresseur ayant un impact minimal sur le poids, comme le bupropion (Zyban®), pourrait être privilégié lorsque c’est cliniquement approprié.
Il est également important de noter que le bupropion (Zyban®), bien qu’associé à une moindre prise de poids, n’est pas indiqué dans toutes les situations. En France, il est principalement utilisé comme aide au sevrage tabagique et n’a pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour la dépression, contrairement aux États-Unis. De plus, il peut être contre-indiqué chez certains patients, notamment ceux qui présentent un risque de convulsions.

Stratégies pour gérer la prise de poids sous antidépresseurs
Pour les patients qui prennent du poids sous antidépresseurs, plusieurs stratégies peuvent être envisagées :
- Une surveillance régulière du poids et des conseils diététiques adaptés
- L’encouragement à pratiquer une activité physique régulière
- Dans certains cas, un changement d’antidépresseur peut être discuté avec le médecin
- Pour les prises de poids importantes, une consultation avec un nutritionniste peut être bénéfique
Il est crucial de souligner que l’efficacité du traitement reste le critère principal dans le choix d’un antidépresseur. Un médicament qui contrôle efficacement les symptômes dépressifs mais entraîne une légère prise de poids est généralement préférable à un médicament qui n’améliore pas l’état du patient mais n’affecte pas le poids.
Enfin, il est essentiel de ne jamais interrompre ou modifier un traitement antidépresseur sans avis médical. L’arrêt brutal peut entraîner des symptômes de sevrage et augmenter le risque de rechute dépressive.
Conclusion
L’étude de Petimar et ses collègues apporte un éclairage nuancé sur la question de la prise de poids associée aux antidépresseurs. Tous les antidépresseurs ne font pas grossir de la même façon, et les différences, bien que réelles, sont généralement modestes.
Le bupropion (Zyban®) se distingue par son association à une moindre prise de poids, tandis que l’escitalopram (Seroplex®), la paroxétine (Deroxat®) et la duloxétine (Cymbalta®) sont associés à un risque légèrement plus élevé de prise de poids cliniquement significative.
Ces résultats peuvent aider les médecins et les patients à faire des choix thérapeutiques plus éclairés, en tenant compte du risque de prise de poids parmi d’autres facteurs. Cependant, il est important de rappeler que l’efficacité du traitement reste le critère principal, et que la prise en charge de la dépression doit être globale, incluant si nécessaire des mesures pour gérer les effets secondaires potentiels.
La recherche de Petimar et al. souligne également l’importance d’une approche personnalisée dans le traitement de la dépression. Chaque patient est unique, avec ses propres antécédents médicaux, préférences et préoccupations. Le choix d’un antidépresseur doit donc résulter d’une discussion approfondie entre le patient et son médecin, en pesant soigneusement les bénéfices attendus et les risques potentiels, y compris celui de la prise de poids.
Références
1. Petimar J, Young JG, Yu H, et al. Medication-induced weight change across common antidepressant treatments: a target trial emulation study. Ann Intern Med 2024;177(8):993-1003.
3. Antidépresseurs – Lesquels font le plus grossir – UFC-Que Choisir
4. Les médicaments antidépresseurs – VIDAL
5. Recommandations Trouble obsessionnel compulsif (TOC) – VIDAL
6. Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) – Pharmacomédicale
7. Nombre de Français consommant des antidépresseurs – Statista
8. Consommation d’Antidépresseurs en France : Statistiques (2024)
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