Imaginez cette situation troublante : vous regardez votre conjoint, votre enfant ou votre meilleur ami et une certitude glaçante vous traverse. Cette personne n’est pas celle qu’elle prétend être. Elle lui ressemble en tous points, mais il s’agit d’un imposteur, d’un sosie malfaisant. Ce scénario est pourtant bien réel et porte un nom : le syndrome de Capgras.
Décrit en 1923 par le psychiatre français Joseph Capgras, ce trouble psychiatrique rare touche 0,12% de la population générale. Bien qu’exceptionnel, ce syndrome peut avoir des conséquences dramatiques sur la vie des personnes concernées et de leurs proches dans le monde entier.
Le syndrome de Capgras, aussi appelé délire des sosies, se caractérise par une conviction délirante que des proches ont été remplacés par des doubles identiques. Cette maladie complexe nécessite une prise en charge spécialisée.
Points clés
- Le syndrome de Capgras touche 0,12% de la population générale et 1,3% des patients psychiatriques
- Les patients croient que leurs proches sont des sosies ou imposteurs identiques
- Associé à la schizophrénie (15% des cas), aux démences et aux lésions cérébrales
- La reconnaissance visuelle est préservée mais la connexion émotionnelle altérée
- Le diagnostic repose sur une évaluation psychiatrique et neurologique
- Le traitement combine antipsychotiques, psychothérapie et accompagnement familial
- Une prise en charge précoce améliore le pronostic
Qu’est-ce que le syndrome de Capgras ?
Définition et mécanisme du délire des sosies
Le syndrome de Capgras appartient aux syndromes de méconnaissance délirante les plus fréquents [1]. Cette affection se caractérise par une conviction que des personnes familières ont été remplacées par des doubles identiques physiquement.
Le mécanisme est fascinant : les patients conservent leur capacité de reconnaissance visuelle des visages. Ils identifient parfaitement l’apparence de leurs proches, leurs traits, leurs cheveux. Cependant, la connexion émotionnelle habituelle est rompue [2].
Cette dissociation crée un sentiment d’étrangeté profond. Le cerveau élabore une explication délirante : la personne reconnue visuellement ne peut être la vraie, elle doit être un sosie.
Les neurosciences expliquent ce phénomène par une déconnexion entre le cortex temporal (reconnaissance des visages) et le système limbique (émotions) [3]. Cette rupture génère l’illusion caractéristique du syndrome.
Différence avec d’autres troubles
Le syndrome de Fregoli présente un mécanisme inverse : les patients croient qu’une même personne change d’apparence pour les espionner. Ces deux syndromes peuvent parfois coexister, créant une confusion majeure [4].
Qui sont les personnes touchées ?
Prévalence dans le monde et en France
La prévalence mondiale est de 0,12% dans la population générale, soit une personne sur 800 [5]. En milieu psychiatrique, 1,3% des patients présentent ce syndrome, montant à 2,5% en hospitalisation aiguë [6].
En France, bien qu’aucune étude spécifique n’existe, plusieurs milliers de personnes pourraient être concernées. Le Dr Mathieu Lacambre, psychiatre au CHU de Montpellier, confirme que ce syndrome reste « exceptionnel » mais nécessite une vigilance particulière [7].
Populations à risque
Le syndrome touche plus les femmes (ratio 3:2) [8]. L’âge varie selon la pathologie : adolescence/jeune adulte pour la schizophrénie, après 65 ans pour les démences [9].
Les personnes avec traumatismes crâniens, AVC ou troubles neurologiques présentent un risque accru. Le diabète, l’hypothyroïdie et les migraines augmentent légèrement l’incidence [10].

Quelles sont les causes ?
Pathologies psychiatriques
La schizophrénie constitue la principale maladie associée (15% des patients) [11]. Les troubles bipolaires en phase maniaque peuvent déclencher des épisodes de délire des sosies [12].
Maladies neurodégénératives
La maladie d’Alzheimer présente une prévalence de 6% selon les méta-analyses récentes [13]. La maladie à corps de Lewy montre une association forte, souvent avec hallucinations visuelles [14].
Lésions cérébrales
Les traumatismes crâniens affectant les régions frontales et temporales droites peuvent déclencher le syndrome. Les AVC touchant l’artère cérébrale moyenne droite constituent également des causes reconnues [15].
Comment se manifeste le délire ?
Symptômes principaux
Le syndrome se manifeste par une conviction inébranlable que des proches sont des sosies. Cette certitude persiste malgré toutes les preuves contraires [16].
Les patients décrivent un sentiment d’étrangeté face à leurs proches. Ils reconnaissent l’apparence mais ressentent que « quelque chose ne va pas ». La méfiance s’installe progressivement.
Le comportement devient distant et froid. Les liens affectifs se distendent car les patients ne ressentent plus d’émotions positives envers ces « imposteurs ».
Risques et complications
Le syndrome présente un risque de violence (23-38% des patients) [17]. Les cas d’homicide, bien que rares (6%), soulignent l’urgence d’une prise en charge [18].
L’impact sur l’entourage est considérable. Les proches subissent un rejet inexplicable et douloureux, ne comprenant pas ce changement soudain.
Comment diagnostiquer ?
Le diagnostic repose sur un entretien psychiatrique approfondi explorant délicatement les convictions du patient [19]. L’anamnèse recherche les antécédents et facteurs déclenchants.
L’imagerie cérébrale (IRM/scanner) identifie d’éventuelles lésions structurelles. Les examens biologiques éliminent les causes métaboliques. L’EEG peut révéler des anomalies épileptiques [20].

Quels traitements ?
Approche médicamenteuse
Les antipsychotiques de deuxième génération constituent la base du traitement. Rispéridone, olanzapine et aripiprazole montrent une efficacité particulière [21].
Les antidépresseurs ISRS (sertraline, escitalopram) sont associés en cas de symptômes dépressifs. Pour les démences, les inhibiteurs de cholinestérase peuvent aider [22].
Prise en charge psychothérapeutique
La thérapie cognitivo-comportementale aide à questionner les croyances délirantes. L’accompagnement des amis et famille constitue un pilier fondamental [23].
Les groupes de soutien offrent aux familles un espace d’échange. La psychoéducation enseigne comment communiquer efficacement et maintenir un environnement sécurisant.
Conclusion
Le syndrome de Capgras illustre la complexité du cerveau humain et les conséquences des dysfonctionnements neurologiques sur nos relations intimes. Ce trouble rare transforme les proches en étrangers, créant une souffrance profonde.
La compréhension moderne a progressé depuis 1923. Les avancées en neurosciences permettent de mieux appréhender les mécanismes et d’adapter les traitements.
L’importance d’un diagnostic précoce est cruciale. Plus la prise en charge est rapide, meilleures sont les chances de stabilisation. Pour les familles, l’espoir demeure grâce aux traitements actuels qui offrent des perspectives d’amélioration.
Face à des symptômes évocateurs, consulter rapidement un psychiatre spécialisé est essentiel pour établir un diagnostic précis et une stratégie thérapeutique adaptée.
Références
[1] Capgras Syndrome – StatPearls – NCBI Bookshelf. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK570557/
[2] Hirstein, W., & Ramachandran, V. S. (1997). Capgras syndrome: a novel probe for understanding the neural representation of the identity and familiarity of persons.
[3] Ellis, H. D., & Young, A. W. (1990). Accounting for delusional misidentifications. British Journal of Psychiatry, 157(2), 239-248.
[4] Syndrome de Capgras : symptômes, causes, traitements – Santé Magazine. https://www.santemagazine.fr/sante/maladies/maladies-mentales/connaissez-vous-le-syndrome-de-capgras-1110050
[5] Capgras Syndrome – Psychology Today. https://www.psychologytoday.com/us/basics/capgras-syndrome
[6] The prevalence of Capgras syndrome in a university hospital setting. Acta Neuropsychiatrica, 26(3), 168-174.
[7] Dr Mathieu Lacambre, psychiatre responsable de la filière Psychiatrie Légale au CHU de Montpellier.
[8] Délire d’illusion des sosies de Capgras – Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Délire_d’illusion_des_sosies_de_Capgras
[9] Capgras Syndrome in First-Episode Psychotic Disorders. PMC. https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC4065173/
[10] Capgras syndrome and its relationship to neurodegenerative disease. PubMed. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18071040/
[11] Capgras’ Syndrome in an Elderly Patient With Dementia. PMC. https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC4048136/
[12] Syndrome de Capgras… à partir d’un cas clinique. European Psychiatry.
[13] Prevalence of Capgras syndrome in Alzheimer’s patients – SciELO. https://www.scielo.br/j/dn/a/wWCKgCGxWgQzXyWhzhMjK4c/?lang=en
[14] Maladie à corps de Lewy : que faire face au syndrome de Capgras. https://www.agevillage.com/actualites/maladie-à-corps-de-lewy-que-faire-face-au-syndrome-de-capgras
[15] Lesions Causing Capgras Syndrome Are Functionally Connected. Neurology.
[16] Capgras syndrome: analysis of nine cases. PubMed. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/10498226/
[17] Capgras Syndrome and Its Relationship to Neurodegenerative Disease. JAMA Neurology.
[18] Capgras’ syndrome. PubMed. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/6869616/
[19] Syndrome de Capgras – A2MCL. https://association-maladie-corps-lewy.a2mcl.org/
[20] Capgras syndrome: neuroanatomical assessment of brain MRI. Brain.
[21] Capgras Syndrome: Symptoms, Treatment, and More – WebMD. https://www.webmd.com/mental-health/impostor-syndrome-capgras
[22] Capgras Syndrome: Causes, Treatment, and Caregiving – Healthline. https://www.healthline.com/health/capgras-syndrome
[23] Syndrome de Capgras et maladie d’Alzheimer – Revue Médicale Suisse.
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